Manet, révolutionnaire malgré lui (Gabriel Séailles) «Les caricatures avaient donné de Manet une image illusoire et populaire: Manet ne pouvait être qu'un rapin chevelu et goguenard, un peintre de carnaval. Au vrai, c'était un homme très correct, d'esprit cultivé, de manières élégantes. Il appartenait à une famille de vieille bourgeoisie. Son père était un magistrat, convaincu que la robe anoblit, aussi bien que l'épée. Il accueillit la vocation artistique de son fils comme un duc la mésalliance de son héritier avec une fille de chambre. Embarqué mousse sur un navire marchand, Manet revint du Brésil sans avoir fléchi et il entra à l'atelier de Thomas Couture. Au sortir de l'atelier, il continua son éducation par des voyages, qui le conduisirent en Hollande, à Munich, à Dresde, en Italie. Il ne dédaigne pas les leçons des maîtres, il s'éprend de Frans Hals, de sa technique, dont la verve égale la justesse; il aime Tintoret pour d'autres raisons, pour sa force un peu brutale et pour ses audaces; il n'a pas vu l'Espagne, mais il a rencontré çà et là Velasquez, et il n'a trouvé chez aucun maître une impression aussi directe de la nature, un langage plus libre d'artifices et de conventions. Il rêve de marcher sur la trace de ces maîtres, de conquérir le public. Il n'est personne qui ait plus de dédain que lui pour le rapin bohème et cynique, dont on lui met le masque. Recherché dans le monde pour son esprit, pour sa verve, il souffre de n'y être point accueilli pour son œuvre de peintre. Homme de tradition, conservateur, il n'est pas très éloigné, sur bien des points, de l'état d'esprit des membres de l'Institut qui le condamnent au nom des grands principes de l'art. Mais, artiste, il est incapable de concessions dont le sens même lui échappe. Il se résigne à être un révolutionnaire. Avec une bonne foi charmante, il ne se lasse pas de revenir à la charge de faire appel à ses confrères, à ses juges, au public. Mais son effort n'est pas de s'atténuer, de s'amoindrir, de se faire pardonner: loyalement, il veut convaincre ses adversaires, en s'élevant à une intelligence et à une expression plus claires des vérités qu'il découvre dans son observation originale et sincère de la nature. Manet n'a pas la joie de lutter contre la sottise, de braver l'opinion: il y a dans l'attitude qu'on lui impose une sorte d'indécence qui blesse son goût. Sa célébrité de bête curieuse, qui fait retourner les gens sur son passage, l'impatiente et l'exaspère. Il ne cède pas. Dans cette lutte, qu'il mène jusqu'au bout sans défaillance, son vrai courage n'est pas tant d'accepter l'hostilité des autres que de refouler tout ce qui en lui-même combat avec ses adversaires, les sentiments profonds liés à ses traditions familiales, son goût de la règle et des convenances, les susceptibilités de sa nature délicate, nerveuse, singulièrement irritable. Si Manet eût assez vécu, il eût peut-être eu la bonne fortune de se retrouver, même en art, du parti des «honnêtes gens». Mais sa vie reste un bel exemple de l'héroïsme de l'artiste qui s'accepte lui-même, et, en dépit des morales et des techniques collectives, à l'audace d'avoir, en un sens, raison contre tout le monde. Dans le catalogue des œuvres qu'il exposa en 1867, Manet disait de lui-même: «C'est l'effet de la sincérité de donner aux œuvres un caractère qui les fait ressembler à une protestation, alors que le peintre n'a songé qu'à rendre son impression. M. Manet n'a jamais voulu protester... Il a toujours reconnu le talent où il se trouve et n'a prétendu ni renverser une ancienne peinture, ni en créer une nouvelle. Il a cherché simplement à être lui-même et non un autre.» Manet était un homme éclairé, il avait voyagé, «il avait étudié, copié, comparé dans les musées»; ses préférences allaient à Franz Hais et aux Vénitiens, à Velasquez et à Goya. «Il n'avait jamais connu la révolte contre les règles et les maîtres, personne n'admirait plus que lui Ingres, Delacroix, Courbet.» (Th. Duret.) Mécontent de la peinture de son temps, de ses formules banales et de ses conventions, «il voulut prendre l'art au commencement, c'est-à-dire à l'observation exacte des objets. Voir la nature telle qu'elle est, sans la regarder dans les œuvres et dans les opinions des autres.» (Émile Zola) Manet n'apporte pas un idéal nouveau, une manière nouvelle de penser ou de sentir la nature; il apporte une manière nouvelle de la regarder et de la voir. La révolution qu'il opère est une révolution technique qui a son point de départ dans l'originalité de sa vision. Il est, avant tout, un œil merveilleusement sensible. Les peintres avaient habitué le public à une certaine transposition de la couleur et de la lumière dans les tableaux; cette transposition était tenue, d'un commun accord, pour la condition même du langage artistique, de sa délicatesse et de ses harmonies: Manet n'acceptait pas cette prétendue vision artistique, il apportait des sensations nouvelles et entre ces sensations des rapports nouveaux. Il n'était pas nécessaire d'être grand clerc, il suffisait d'ouvrir les yeux pour constater que cet homme étrange avait une folie de la vision, puisqu'il ne regardait pas avec les yeux de tout le monde. J'admire volontiers Manet pour ce qu'il a voulu et pour ce qu'il a fait. J'accepte ce qu'il apporte de nouveau; je nie que cette nouveauté soit une révélation qui vieillisse toute la peinture antérieure. Je vais plus loin: je soutiens que, si la technique de Manet a ses applications légitimes, elle entraîne, dans la définition des modelés, dans la construction des formes, des sacrifices qui montrent ses limites et son insuffisance. Manet a une vision originale, il renouvelle en un sens pour nous le spectacle des choses, en nous y faisant découvrir des nuances inaperçues. De parti pris ou par un don de nature, il s'en tient aux impressions directes qu'il reçoit des objets, il s'y attache et s'y applique, sans s'embarrasser de tous les éléments tactiles dont l'expérience et le jugement les compliquent. Il voit ingénument ce qu'on voit réellement, des taches ou des plans colorés se détachant les uns sur les autres. Il laisse le grand problème qui avait tourmenté les maîtres de la Renaissance: comment, par quelle science, par quels artifices réfléchis, la peinture peut-elle sur une surface plane donner l'illusion des trois dimensions. Il note les tons justes qu'il perçoit et il les juxtapose, sans les atténuer ni les affaiblir, sans marquer les passages qui donnent le sentiment de la continuité et de la résistance. Si sa toile ne se creuse pas, si elle trahit qu'elle n'est rien de plus qu'une surface colorée, il s'en console. Réduite à ses éléments purement visuels, la peinture n'assombrit plus la nature, elle se rapproche de la lumière vraie, elle se pénètre de l'éclat et de la gaieté des choses. Manet peint ainsi de très belles natures mortes, des fleurs et des fruits; en plein air, de jeunes femmes qui mettent sur les fonds ensoleillés du jardin la joie d'une vision de printemps; à ses meilleures heures (Dans la Serre), des œuvres, dégagées d'artifice, où les êtres baignés dans la lumière se construisent avec une merveilleuse souplesse.»
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